dimanche 29 novembre 2009

Sommes-nous moins solidaire depuis un an ?


Cette question est un peu de pure réthorique j'avoue et mon côté profondément optimiste veut croire que la réponse est non.

En fait cette interrogation est mue par un simple constat : vendredi se tenait la 2e Nuit Solidaire pour le Logement organisée avec l'aide de plus d'une trentaine d'associations d'aide sociale. Elle se tenait simultanément à Avignon, Lille, Lyon, Marseille, Strasbourg et Toulouse. J'avais un vague souvenir de la 1ere Nuit Solidaire qui s'était tenue en février 2008, Place de la République. J'avais en tête la place emplie de monde pour dénoncer cette situation scandaleuse de personnes obligées de dormir dans la rue faute d'un toit pour les accueillir. J'ai pu depuis vendredi vérifier que mes souvenirs étaient bons : entre 8 et 10.000 personnes étaient présents ce soir là.

Premier constat en arrivant Place de la Bastille : là où je m'attendais à voir une foule immense sur une place aménagée pour cet évènement, je n'ai vu qu'un petit attroupement prêt du Bassin de l'Arsenal avec 5 ou 6 tentes, l'inévitable fumée des merguez, une scène pour les groupes se produisant pour la soirée ainsi que la rythmique ô combien inimitable d'une excellent Batucada. Et bien évidemment, pas le moindre blocage de la circulation.

Je n'avais pas trouvé il est vrai la couverture médiatique à la hauteur de l'enjeu. Je me demande si cette couverture aurait été plus importante si les organisateurs avaient organisé cette nuit en plein hiver, pendant que, comme tous les ans, les journaux égrennent le nombre de sans-abris morts de froid dans la nuit. J'ai peur que la réponse ne soit oui... Si certains journalistes ou plutôt rédacteurs en chef lisent un jour ces lignes je tiens à leur rappeler que malheureusement en moyenne un sans-abri meurt chaque jour... même l'été... Surtout l'été. Loin des caméras.

Couverture médiatique minimale, un espace restreint pour ne pas déranger les fétards se rendant à Paris un vendredi soir (Faudrait pas qu'en plus de nous déranger la bonne conscience, ils nous empêchent d'aller faire la fête tout de même...), je trouve oui à cette aune-là que la Solidarité a du plomb dans l'aile.

Heureusement, les petits, les sans-grades, les anonymes étaient là. Ceux qui donnent sans compter. De leur temps, de leur argent, de leur sueur. Se mêler à ces personnes cette nuit-là c'était prendre une bonne bouffée d'amour, de gentillesse et de naturel. Et la gentillesse était aussi à prendre parmi les sans-abris qui étaient là. La pudeur et la reconnaissance. La dignité aussi. Bien sûr que l'on pouvait y croiser des SDF émêchés renversant leur bière en dansant devant la scène, où les artistes jouaient aussi pour eux. Mais en y réfléchissant, à 200m à peine il y a la rue de la Roquette et je pense que le spectacle de types ivres dans les rues est assez courant... la différence étant que ceux-là rentreront cuver leur vin au chaud, chez eux.

Pour les personnes s'étant rendus à cette nuit, je tiens à vous dire que vous avez cotoyé des sans-abris que vous ne soupçonniez pas. Parce que rien dans leur allure ne le laissait penser. Qu'il faut les avoir rencontré dans le cadre d'une maraude, d'une distribution de nourriture ou d'une aide sociale pour connaitre leur situation. Et souvent il faut leur forcer la main pour qu'ils acceptent cette aide parce qu'encore une fois ils sont dignes.

Je suis allé à cette nuit en me préparant comme une expédition dans une contrée glaciale, chaussure à grosse semelles, polaire, manteau d'hiver, bonnet et gants épais. Le temps était clément mais au bout de quelques heures le froid perce. Il faut bouger sans cesse. Et on perd de minute en minute sa chaleur. La seule façon de la reconstituer est de trouver une source où se réchauffer. La 1ere fut le métro, la suivante mon domicile. Où j'ai pu me calfeutrer comme tout un chacun. Sauf eux.

Comment peut-on sereinement et calmement envisager de reconstruire sa vie, de reprendre un nouveau départ quand on a deux préoccupations vitales en tête : que vais-je manger aujourd'hui et où vais-je dormir cette nuit ?

Il faut les libérer de ces interrogations. Les sortir de cette spirale journalière. Pour qu'ils sortent d'un état de survie pour accéder de nouveau à un sentiment d'avoir une vie destinée à autre chose qu'à emplir des colonnes de statistiques ou des rubriques de faits-divers.

Les associations sont là, les bénévoles aussi mais seuls ils ne font qu'essayer de vider la mer avec une petite cuiller.

L'état mais aussi les collectivités locales doivent régler ces questions et cesser de se renvoyer constamment les responsabilités et les fautes commises à la figure. Pendant ces joutes politiciennes méprisables, des gens souffrent et meurent. En silence.

Nous allons entrer dans une nouvelle période électorale dont l'enjeu est la gouvernance des régions de notre pays. On entend déjà quelques thèmes de campagne comme la sécurité, l'écologie, l'immigration, l'identité nationale... Et si on y ajoutait la précarité ? Elle est une donnée du quotidien et chacun peut la cotoyer et la subir.

La politique est sensée agir sur les maux de la société pour les régler. Y'a-t-il de maux plus grands que la misère humaine ?

Peut-être est-il temps en France d'ouvrir un vrai débat plus que sur l'Identité Nationale, sur la Dignité Humaine ?

jeudi 19 novembre 2009

Roger Kowalski est mort


Roger Kowalski est mort dans le 17e arrondissement de Paris le jour de mon anniversaire.
Il avait mon âge.
Je ne sais rien de lui. Juste que son seul contact était le Samu Social.
Comment sais-je qu'il est mort ? Parce que j'ai assisté ce 18 novembre à la cérémonie organisée par le Collectif des morts de la rue, à la mémoire de ceux qui sont morts cette année.

299 morts à ce jour. Presque un par jour. Moyenne d'âge 47 ans.

À quelle époque faut-il remonter dans l'histoire pour que l'espérance de vie des Français soit de 47 ans ? Le Moyen-âge ? La préhistoire ?

Sur la place du Palais-royal, un cimetière éphémère était installé. En guise de stèle, une feuille de papier au format A4 scotchée sur une couverture posée à terre. Sur cette feuille, le nom, l'âge et la date précise de la mort ainsi que le lieu. Écrites à la main, les circonstances de la mort et à 2 à 3 reprises une photo. Quelques fois un poème.
Mais parfois, souvent, juste une indication : environ 40 ans. Où pire : « un homme » ou « une femme ».

Même dans la mort certains n'auront même pas le droit qu'on pense à eux...

On ne peut pas, on ne peut plus accepter que l'on ne puisse se souvenir d'une personne que sous « un homme de 40 ans mort à Paris le 15 juillet 2009». Parce que les invisibles de la rue meurent plus en dehors de l'hiver... Parce qu'ils sont invisibles justement.

En voyant ces tombes virtuelles, en entendant ensuite l'énumération des 299 noms (plus que le nombre de personnes assistant à cette cérémonie), je fus pris d'une incommensurable tristesse.
Elle ne me quitte pas au moment où j'écris ces lignes.

Je pleure sur eux. Leur vie abîmée, gâchée, qui n'a pu être sauvée malgré tout l'amour et le dévouement déployés par les associations qui les aident et les soutiennent, qu'ils en soient un million de fois remerciés.

Je pleure aussi sur la société qui laisse une partie des ses enfants s'éloigner, ne pas trouver sa place et au final mourir loin d'elle.

Je pleure enfin sur mon impuissance à changer les choses alors que mon engagement politique vise à rendre cette satanée société plus juste et plus humaine !

Mon amie la plus proche fait preuve d'une humanité plus grande que je ne le pourrais jamais en aidant directement les sans-abris avec les Restos du Cœur, en participant aux actions des Enfants de Don Quichotte et en organisant des maraudes elle-même afin d'aider ceux qui sont tombés.
Elle s'attaque, comme les associations, aux effets, aux symptômes de la maladie qui ronge la société. Elle pallie aux carences d'un état qui prône depuis tant d'années un individualisme forcené et applique un désengagement de son rôle de protection.

Il nous faut, nous qui nous targuons de vouloir changer la société, apporter une vraie réponse.

Inventer et apporter une nouvelle vision et la mettre en place.

En collaboration avec les acteurs efficaces sur le terrain, répondre à l'immédiateté des problèmes mais travailler sur le moyen et long terme afin de créer une société juste qui ne laisse personne sur le bas-côté. Une société qui permet à ceux qui tombent de se relever, de reprendre leur souffle et de repartir à leur rythme. Sans jugement. Sans séquelles. Sans rejet.

Si on ne crée pas ça... A quoi bon ?